Saturday, February 04, 2006

La parole aux dessinateurs

Article paru dans LE TEMPS, un journal suisse qui offre souvent au lecteurs des articles bien fichus. Ici il reprend un article paru dans Le Monde.



Des dessinateurs réagissent à l'affaire des caricatures de Mahomet




Alors que la polémique sur les dessins représentant le prophète Mahomet prend de l'ampleur, «Le Monde» a interrogé huit dessinateurs et caricaturistes. Voici leurs réactions.


Jeudi 2 février 2006 13:55
Nathaniel Herzberg, Yves-Marie Labé et Mouna Naïm, LeMonde.fr



Marcel Gotlib, 71 ans, auteur de BD cultes (Gai Luron, Les Dingodossiers, La Rubrique-à-brac, Rhââ Lovely, Hamster jovial et ses louveteaux, Pervers pépère...) prépubliées dans Pilote, L'Echo des savanes ou Fluide glacial, deux magazines dont il est le cofondateur.

«La pire malédiction, c'est de manquer de sens de l'humour. Je trouve dangereux ceux qui veulent interdire ces dessins surtout quand on sait de quoi ils sont capables. Mais je ne veux pas confondre les fanatiques et les autres. Ces dessins ne sont pas méchants. Celui de Kurt Westergaard montrant Mahomet avec son turban en forme de bombe n'est même pas une caricature : si on enlève la mèche, ce pourrait même être un beau dessin. Quand j'ai mis en scène les six dieux dans L'Echo, en 1973, j'avais un peu la trouille, je me suis forcé. Il n'y a eu aucune récrimination, c'était pourtant l'époque de Pompidou. Mais je ne pourrais sans doute plus faire ce genre de BD aujourd'hui.»

René Pétillon, 70 ans, auteur de nombreux albums de BD et de dessins dont Le Baron noir, L'Enquête corse, Supercatho, L'Affaire du voile, dessinateur au Canard enchaîné.

«Assimiler l'islam au terrorisme, cela peut faire tousser. Quand on critique les intégristes, tous ces 'délirants' qui brouillent le message d'une religion quelle qu'elle soit, on ne doit pas tomber dans l'amalgame. Il faut cibler et ne pas causer de dommages collatéraux. En attaquant le prophète, on attaque tous les musulmans. Les gens ont le droit de croire en ce qu'ils veulent. Ce que j'attaque, ce sont ceux qui interprètent les religions et qui imposent leurs vues. Pour revenir à ce dessin, il est excessif et devrait être considéré comme insignifiant. Mais il faut aussi se demander pourquoi l'affaire éclate maintenant, alors que les dessins ont été publiés il y a belle lurette.»

Cabu, 68 ans, dessinateur de presse, auteur d'une soixantaine de livres (du Grand Duduche à Chroniques papales), collabore à de nombreux titres, dont Le Canard enchaîné et Charlie Hebdo.

«Je pense qu'il n'y a pas de délit de blasphème contre la religion en France. Je suis athée. On peut critiquer toutes les religions. Pour moi, toute religion est débile. Je suis par ailleurs frappé de voir, en ce qui concerne les musulmans, à quel point les modérés ne s'expriment pas et laissent faire des choses terribles en leur nom. En tant que dessinateur, il ne faut pas se laisser faire. On devrait mettre les trois religions les plus répandues dans un seul dessin — un curé, un imam, un rabbin — pour ne pas être accusé de parti pris ! C'est idiot. Les dessins scandinaves mis en cause ne sont pas si terribles. Pour l'élection de Miss Monde au Nigeria, fin novembre 2002, qui avait causé la mort de deux cents personnes au cours d'émeutes provoquées par des islamistes intégristes, j'avais dessiné Mahomet en mafieux, verre de cognac et cigare à la main, en parrain de l'élection de 'Miss sac à patates', dans Charlie Hebdo. J'ignorais qu'on ne pouvait pas représenter l'image du prophète. Mais je ne regrette pas ces dessins, même si le journal a été insulté et menacé. Les dessinateurs, comme les autorités, ne devraient pas présenter d'excuses.»

Pierre Sadeq, 68 ans, dessinateur libanais, caricaturiste du quotidien Al-Nahar et de la chaîne de télévision Al-Mustaqbal (Future TV) de la famille Hariri. Chrétien.

«Je traite de tout mais dans le respect des croyances. Je m'amuse des hommes de religion, qu'il s'agisse du patriarche maronite, du secrétaire général du Hezbollah (Hassan Nasrallah, chiite) ou des chefs religieux des communautés chiite et sunnite. Une seule fois, récemment, on m'a laissé entendre du côté du Hezbollah qu'on n'était pas content. Je leur ai expliqué que dès lors que Nasrallah est entré dans l'arène politique, je suis en droit de le caricaturer. Je réprouve les caricatures qui ont été publiées. Je n'irai jamais si loin pour ma part, quelle que soit la religion concernée.»

Hassan Bleibel, libanais. Musulman chiite, caricaturiste du quotidien Al-Mustaqbal (Le Futur), de la famille Hariri.

«Je n'ai pas vu les dessins des caricaturistes danois. J'ai tendance à penser qu'il ne faut pas surdimensionner ce genre d'affaires, parce qu'on risque d'aboutir à l'effet contraire si l'objectif est précisément de dire que les musulmans sont intolérants et obtus. Cela étant dit, il existe des sujets sensibles auxquels il faut éviter de toucher en tant que caricaturiste. L'Europe est très sensible à ce qui touche la religion juive. Il n'est donc pas logique qu'elle ne tienne pas compte de la sensibilité des musulmans à ce qui touche à leur religion. L'Occident est certes chrétien, mais les Occidentaux ont pris des distances avec la religion, ce qui n'est pas le cas des musulmans. La liberté d'opinion et d'expression est bien sûr sacrée, mais elle ne doit pas franchir la ligne ténue qui la sépare de l'injure et elle doit obéir à des règles. Il existe une différence entre des hommes de religion et le symbole que peut représenter un prophète pour une religion.»

Haddad, 60 ans, français d'origine libanaise, dessinateur à Al-Hayat (journal en arabe édité à Londres) et collaborateur de Courrier international.

«Je suis pour la liberté d'expression et contre la censure. Je suis prêt à me battre pour. Mais je trouve ces dessins très mauvais. La première fois, je les ai trouvés sans intérêt. Pas drôle mais anodins. Et puis j'ai compris qu'ils représentaient le prophète. Mettre une bombe sur la tête d'un intégriste, pourquoi pas? Moi-même, je dessine contre le terrorisme, contre les intégristes. Mais sur la tête du prophète, qu'est-ce qu'on veut dire ? Un dessin a toujours un message. Là, quel est le message ? Que l'islam est criminel ? Que les musulmans sont criminels? Affirmer par une caricature que les intégristes sont des arriérés, des obscurantistes, je veux bien. Mais faire la même chose avec le prophète, là encore, c'est un amalgame. Ce sont tous les musulmans qui sont visés. Cela devient du racisme.
Dans le climat actuel, je me demande à qui ça profite. Dans les pays arabes, les laïcs reculent partout. Avec ce genre de scandale, je peux vous assurer que les intégristes doivent se frotter les mains. Je ne suis pas religieux. Mais je ne dessine pas sur la religion. Car je crois que le vrai problème, dans nos pays, c'est l'injustice, la pauvreté, la violence. C'est de ça que se nourrit le terrorisme, pas de la religion.»


Glez, 39 ans, franco-burkinabé, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire satirique Le Journal du jeudi d'Ouagadougou, collaborateur régulier de Vita (Milan).

«Le principe est simple: la liberté d'expression. Tout peut être représenté. Donc les boycotts, les menaces suscitent mon indignation. Il y a évidemment des limites, celles de la déontologie professionnelle. Mais rien ne permet d'interdire par principe un dessin. La déontologie, cela consiste à éviter l'outrance inutile, l'amalgame, de savoir précisément le message que l'on transmet. Lors d'un forum à Jérusalem, en novembre 2005, nous avons observé que dans les dessins publiés dans la presse palestinienne, certains attaquaient la politique israélienne, parfois très violemment, mais que d'autres proposaient une représentation d'Israël clairement antisémite. Ce n'est évidemment pas la même chose.
Mais le problème avec les religieux, c'est que le message vraiment transmis passe souvent au second plan. J'ai eu plusieurs expériences sur le sujet. Il y a quelques jours, un journal italien m'a refusé un dessin parce qu'il considérait qu'il attaquait trop frontalement le Hamas alors qu'eux estimaient qu'il fallait attendre de voir leur comportement aux affaires. C'est leur droit. Ici, j'ai publié un dessin utilisant l'imagerie catholique pour figurer le chemin de croix du premier ministre, face à un président croqué en Ponce Pilate. J'ai reçu des lettres de religieux me rappelant le précédent de Salman Rushdie. J'ai aussi dessiné un comic strip, Divine comédie, qui raconte les aventures de dieu. Il a été publié dans une dizaine de pays européens, notamment en Pologne. Mon seul problème, je l'ai rencontré aux Etats-unis où le journal qui le publiait a renoncé devant l'avalanche de courrier. Je n'attaquais pas la religion. C'était le principe même de la représentation qui choquait. Je ne sais pas si le Coran interdit véritablement la représentation de Mahomet. C'est un personnage historique, il appartient à tout le monde. Ce n'est pas comme si on jetait le Coran dans les toilettes.»

Jean Plantu, 54 ans, dessinateur au Monde depuis 1972 et à L'Express.

«Il y a de plus en plus une chape de plomb qui tombe sur les dessinateurs de presse et sur les humoristes, quand on parle de religion. On ne se rend pas compte à quel point, hormis l'Eglise catholique sur laquelle on peut taper et qui fait preuve, quoi qu'on en dise, de mansuétude, il est devenu impossible de critiquer les religieux.»

2 Comments:

At 1:11 PM, Anonymous Anonymous said...

Wa salami

Politiquement correct le Plantu là ! :-)

Wa salami

 
At 1:12 PM, Anonymous Anonymous said...

oups... incorrect, je voulais dire... je suis dans une période de stress bloguique... je surfe, je poste, je surfe, je poste... l

 

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